Mon copain Berani

MON COPAIN BERANI

Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler des singes. Cette photo de mon copain Berani l’orang-outan à Pairi Daiza m’inspire. C’est étrange comme chacun vient aux choses par le passé qui l’a forgé et ressurgit de manière inattendue quand l’occasion se présente. On peut penser à beaucoup de choses en regardant cette photo : la disparition de la vie sauvage, les facéties d’un petit être toujours content, l’innocence apaisante d’un instantané qui ne fait pas de bruit inutile.

Mais l’image me parle de manière inattendue car je prépare pour le moment la visite d’un musée au Japon qui expose cet automne des peintures en accord avec la saison. Notamment cette peinture que l’on doit à Hashimoto Kansetsu en 1940 exposée au musée Adachi. Nul doute que le peintre aime et observe ce qui l’entoure.

La ressemblance n’est-elle pas frappante avec la photo ? On y voit un macaque solitaire, un singe qui vit naturellement dans les forêts du Japon. Loin du brouhaha habituel des groupes de singes, nous sommes au moment où il va cueillir un kaki d’automne et on lit dans ses yeux une expression mêlée d’envie et de satisfaction alors qu’il tire sur la branche pour cueillir le fruit. L’animal crève l’écran par le fossé qui sépare la manière de traiter l’arbre, par superposition de couches d’aplats d’encre noire monochrome très ‘bande dessinée’, et le réalisme photographique des poils du singe que l’on pourrait compter par la minutie du pinceau qui les a dessinés. D’une redoutable efficacité, la composition croisée met le singe au coeur de l’action, de la même manière que les cordes et le tronc d’arbre sur la photo de Berani ! Il existe une diagonale invisible entre les yeux du macaque et le kaki qu’il s’apprête à cueillir. Plus visibles encore sont les lignes parallèles des deux tiges qui encadrent le sujet. Harmonie entre l’animal et l’environnement.

Je ne sais pas pourquoi mais les singes me rendent régulièrement visite dans les expos que je commente sur l’art asiatique. Je pourrais vous en montrer de nombreuses mais une suffira. Peut-être la plus mélancolique. Il s’agit d’une peinture que j’avais racontée au musée national de Tokyo qui l’exposait exceptionnellement durant un mois à cause de sa fragilité et de sa rareté. On l’attribue à Mao Feng, peintre de l’académie impériale chinoise au 13ème siècle.

A première vue l’image est très réaliste et semble dépeindre l’animal comme les Chinois et les Japonais savent le faire, à la manière d’une planche scientifique reproduisant l’exactitude à tout prix avec cette rigueur presque maladive de représenter chaque poil de l’animal, mais les proportions justes ne devraient pas laisser passer plusieurs choses qui font de cette peinture un pur chef d’œuvre.

Ce regard n’est pas tout à fait simiesque. Un regard très humain qui suggère l’ introspection, ou même une certaine tristesse. Ceci nous laisse en attente et en porte-à-faux.  Le réalisme est là pour tout dire mais le regard suggère une histoire que nous ne connaissons pas. Est-ce une mère qui a perdu son petit ? Un jeune singe qui ne retrouve plus son groupe. Alors que nous devrions être tous d’accord, chaque observateur humanise ce qui pourtant est un animal.

Pour réaliser le corps l’artiste utilise un aplat de brun-rouge et ensuite la fourrure est minutieusement représentée poil après poil. Les coups de pinceaux varient selon l’endroit. Des poils courts et fins pour le torse, plus épais et doux au niveau du coude, plus longs et moins fournis sur la tête. Tout cela donne une vitalité dans le coup de pinceau qui n’a rien de répétitif ni d’académique. Une étude attentive révèle que des particules d’or sont mélangées à l’encre pour la fourrure, une caractéristique de l’époque des Song qui pourtant n’enlève rien au naturalisme. De l’or est aussi utilisé pour les yeux mais il est appliqué à l’arrière du tissu de soie pour qu’il brille au travers de la trame et apporte vie au regard. Ceci explique pourquoi on a choisi une soie moins serrée qu’à l’habitude.

Malgré l’oeuvre rare qui a traversé les siècles, il me semble que Berani est plus heureux !

8 commentaires

  1. Petit Berani…j’adore sa petite bouille et ses bêtises …..et que dire de Sari la maman protectrice….quant à Ujian la force tranquille et tellement de douceur dans le regard……………je n’oublie pas Gempa et Sinta et leur petit Sungai qui nous a quitté trop vite…..

  2. Très jolie description, pleine de sensibilité et de sens de l’observation, qui met en parallèle, êtres vivants et leur représentation, homme et animal, dans leurs liens-lianes étroits. Emouvant.

  3. Bonjour Francis , j’ai l’impression d’être dans un endroit , quelque part , pendant le voyage , en train d’écouter tes explications toujours aussi intéressantes en lisant l’article de Berani
    Merci

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