UN JOUR, UNE OEUVRE : ‘UNTITLED’ PAR CY TWOMBLY
Adjugée à 70 millions de dollars, l’oeuvre mérite qu’on se penche sur son cas. Plus casse-gueule à expliquer qu’une belle image qui convainc tout le monde dès le départ.
Peintre, sculpteur, photographe, Cy Twombly fait partie de ces artistes américains qui renouvellent l’art américain après les expressionnistes abstraits comme Jackson Pollock. Avec lui, on plonge dans le dilemme entre art abstrait et figuratif, avec un brin de psychanalyse, le rôle que prend le signe et l’écriture en peinture, même s’ il aborde beaucoup d’autres choses à partir de la fin des années 40. Nous sommes ici dans les années 65/70. Il n’est pas vraiment prolifique, ce qui explique sans doute les prix qu’atteignent ses oeuvres, pas plus de 650, là où Andy Warhol nous en a laissées plus de 10.000 !
La plupart des gens qui regardent ce tableau se demandent bien en quoi il est différent des gribouillis d’enfant. Cà, une œuvre d’art ?
Ils pensent cela car pour eux l’art doit exprimer des sommets de l’esprit humain qui ne peuvent pas être reproduits par l’homme ordinaire, à ne pas confondre avec des enfantillages.
Et si nous examinions la nature même de l’art enfantin ?
A trois ans, le dessin de l’enfant n’a pas de forme particulière. Il n’arrive même pas à s’arrêter aux limites du papier en continuant le dessin sur la table, jusqu’à ce que maman explique que ce n’est pas bien et qu’il faut s’arrêter au bord de la feuille. Alors, un peu plus tard, l’enfant donne une forme à son dessin qui bien souvent se traduit par des ronds. Papa demande : c’est quoi çà ? Et l’enfant répond : ‘un cheval’. Mais deux minutes plus tard, maman pose la même question et il dit ‘une maison’ ou ‘la voiture’. L’enfant n’a donc pas d’intention en dessinant et l’explication ne vient qu’après et parce qu’on la lui demande.
A l’âge adulte, il semble que nous ne puissions pas retourner à ce stade inconscient. Toutefois, à l’école pendant un cours barbant, vous griffonnez sur la feuille de papier des choses apparemment incohérentes. Si vous les regardez plus tard, elles n’ont pas de signification propre, un peu comme le dessin de l’enfant, mais pourtant elles n’ont plus cette même spontanéité et cette fraîcheur infantile. Elles sont plus ‘affinées’.
La peinture de Twombly ressemble à celle de l’enfant dans sa phase de développement. Pourtant un adulte ne peut retourner à son enfance ou, s’il se force à le faire à répétition, s’expose à des désordres psychologiques. Le développement humain est irréversible et affecte même l’inconscient de l’adulte. Le dessin de Twombly tente de revenir à ce stade où l’esprit peut se libérer de manière anarchique sans avoir besoin de donner une raison à ce qu’il fait. Un nouveau territoire que le cœur et l’esprit d’aucun de nous n’a réussi à rejoindre.
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas !
Où sont le jardin et les fleurs ?
Combien de commentaires auras-tu ?
Belles réflexions et belle journée.
Luc DM
les petites fleurs vont arriver…. c’est pour samedi…
Vos explications tres pertinentes me permettent d’élargir mon regard avec plus de bienveillance sur une peinture qui, à priori, ne m’ attirait pas.
Merci beaucoup Francis.
c’est souvent le ‘le problème’ avec l’art moderne quand il n’est pas figuratif.
heu………………je n’ai pas de mots ,je suis dubitative………Tout les goûts sont dans la nature……………….Merci Francis……….
la démarche est plus importante que le résultat.
Continuez à nous instruire mais j’ai vu cette oeuvre et je n’accroche tjs pas.Mettez moi des fleurs ou paysages et je peux passer des heures à les regarder.
Vdb
oui mais…. pas besoin d’explications pour apprécier Monet…. çà me met au chômage…
J’apprécie particulièrement ce post. Superintéressant.
certains ne comprennent pas encore que l’art actuel ne se cantonne pas à faire des ‘choses belles’ mais à poser des questions à partir d’un support ‘artistique’ moins barbant qu’une longue analyse réservée aux spécialistes. Questionner son temps.
C’est une fleur pour l’esprit 😁💐
et le coeur…
eh bien moi j’aime, laissons travailler l’imaginaire… il y a plein de choses a penser dans ces dessins, merci Francis pour toutes ces explications intéressantes
c’est bien çà. on analyse et on garde ce qu’on veut en y apportant sa touche personnelle. L’action ne s’arrête pas au moment où la personne signe au bas de la toile.
Merci Francis pour ces éclairages beaucoup trop rares qui permettent de décoder l’indécodable à l’œil nu ! Je trouve qu’une vue de l’esprit est tout aussi intéressante qu’une belle image, pour autant qu’elle soit expliquée.
c’est la force et la ‘faiblesse’ de l’art d’aujourd’hui.
A partir de l’illimité, simplement ressentir … oui, cette oeuvre me nourrit.
Et les explications nourrissent mon intellect, tandis que le ressenti prend de la distance. Regarder avec le coeur-esprit et le mental est un exercice difficile et périlleux.
Merci Francis
je ne peux pas mieux dire !
Puis je me permettre de demander ton analyse d’une autre oeuvre ” North Atlantic light” de Willem de Kooning . Pas de fleurs ,que de la couleur.Belle journée
je ne connais pas cette oeuvre mais elle me fait penser à Monet dans sa manière de capter la lumière (le reflet de la lumière sur la mer) et aux calligraphies orientales qui multiplient les épaisseurs/couches de traits divers pour apporter du rythme à l’espace.
Pour moi, ce n’est pas du tout une vue de l’esprit. Quand je regarde ce tableau, je frissonne: le peintre est en train de se raturer, de raturer de son esprit le conscient et l’inconscient. Il ne veut plus penser, il ne se supporte plus. Il se suicide…
Arlette MP
oups ! cà c’est une analyse !
comprendre : j’imagine je suis au téléphone j’attends une réponse, j’ai une feuille , un bic, j’attends ….. je commence à raturer sur ma feuille …. une forme de patienter …. le temps d’une réponse. J’apprécie votre commentaire
MR
merci.
Dubitative …..
J’aime l’abstrait à condition qu’il me parle, là rien …
Qu’il me parle de couleurs, d’espace, de formes esquissées, bref qu’il soit joli à l’œil …
Là ce sont les gribouillis d’un enfant sur son ardoise, mais peut-être, comme Picasso, CY TWOMBLY veut-il retrouver son âme d’enfant …. Exercice difficile ….
Ou bien, utilise-t-il sa renommée pour faire du grand n’importe quoi, sachant qu’il y aura toujours quelqu’un pour acquérir, par snobisme, une de ses œuvres … on peut se poser la question ….
En tout cas, merci Francis je ne connaissais pas cet artiste …
Tu as bien écrit 70 millions de dollars, là je rêve !!!! Combien de magnifiques voyages je pourrais m’offrir avec une telle somme WOUAH !!!!
Tu vas dire que je suis terre à terre, eh bien oui, je le suis !!!! LOL
Merci Francis ,
Je comprends la démarche de l’artiste
Super les jours se suivent et ne se ressemblent pas .
À demain
Fabienne
oui et j’ai encore de la réserve !
“Life ends when there is nothing left to learn, curiosity and imagination/creativity are the feeders”.
Il y a des oeuvres (abstraites ou figuratives) qui me parlent plus que celle-ci, mais … MERCI Francis de me rappeler ce magnifique souvenir: la visite de la Benesse House sur l’île de Naoshima (ainsi que celle du Chichu Art Museum juste avant) restera à tout jamais gravée dans ma mémoire … quel(s) lieu(x) superbe(s) … juste dommage que les photos y étaient interdites !
Oui c’est un lieu unique et inclassable !
Bonjour à vous, merci de me faire connaître cet artiste. Il se trouve que je travaille sur les écritures. les écritures anciennes du Proche-orient les écritures inventées d’Afrique de l’Ouest sont mon coeur de métier. Mais je m’intéresse aussi à toutes les formes d’écriture non conventionnelles. Pour nous, l’écriture est une représentation de la parole et elle ne sert qu’à cela. Or, on voit bien dans l’oeuvre de cet artiste (même sans faire de psychanalyse) que l’écriture peut renvoyer à autre chose que la parole (du linguistique), par exemple de l’émotion. C’est pour cela que je trouve l’oeuvre que vous nous présentez très intéressante. Isabelle
merci pour ce feedback très intéressant. je publierai bientôt un article sur une calligraphie japonaise et comment un Européen ‘qui ne sait pas lire’ peut l’apprécier mais d’une manière différente de l’initié et plus ‘intuitive’. Ce sera là encore une autre approche de l’écriture.
Pour certaines oeuvres d’art, il faut des clés.
Avoir la chance d’avoir un maître des clés qui ouvre les serrures de nos cerveaux pour les libérer de leur étroitesse est un luxe.
Devant ce tableau, de même que devant celui sur l’assassinat de JFK dont tu nous as parlé, sans explications on passe forcément à côté de tout ou partie de l’intention de l’artiste.
Après on aime ou on n’aime pas, on ressent quelque chose ou on ne ressent rien. Mais on est éclairé.
Un Grand merci
Voici quelques réflexions éclairantes de Cy Twombly himself: “…suivre l’impulsion jusqu’à ce qu’elle s’arrête. ”
“Certaines choses sont juste le moment où vous les faites, et parfois c’est le message. C’est un sujet délicat vous savez.”
“J’aime bien l’idée de gratter et d’attaquer dans la toile. Le grattage existait à la préhistoire déjà. Mais je ne sais pas pourquoi ça a commencé. ”
“J’ai davantage le sentiment de vivre une expérience que de faire un tableau.”
“J’ai un trait d’enfant, mais pas infantile. C’est quelque chose de très difficile à imiter…”
Parlant du poète Rilke, il dit: “il parle de l’essence de quelque chose. Je suis toujours à la recherche d’une formule de ce genre.”
“Vous savez,j’avance l’esprit vide. Complètement vide. Je ne peux pas juste m’asseoir et faire une image […] avant que tout ne marche. C’est comme un état […]extatique. ”
Extraits tirés de Paroles d’artiste. Cy Twombly. Editions Fage, 2016.
Merci pour la proposition de s’arrêter autour d’une toile de cet artiste.
çà éclaire parfaitement sur la démarche. Le moment présent et l’expérience du moment.